Le 25 octobre a eu lieu le 16e Congrès Suisse pour l’économie de la santé et les sciences de la santé & forum d’avenir santé (SKGG) à l’hôpital de l’Île de Berne. Portées par le slogan « La politique de la santé 2031 : le changement social exige une nouvelle politique de la santé », des personnalités connues du monde de la politique, de l’économie et de la médecine ont débattu devant un large public de spécialistes du système de santé suisse. Le SKGG entend participer de manière innovante et visionnaire à la réforme du système de santé suisse. Parmi les conférenciers, il y avait aussi le professeur Carlo Knöpfel qui s’est exprimé au sujet des répercussions de la transformation sociale sur la politique sanitaire et sociale. Il a accepté de résumer son intervention.
Carlo Knöpfel, vous étudiez les avancées pansociétales, comme la numérisation, les changements démographiques ou la mondialisation et leur impact sur la politique de santé suisse. Lesquelles vous préoccupent le plus ?
La mondialisation de l’économie signifie qu’aujourd’hui, les entreprises cherchent à optimiser l’implantation de la moindre de leur activité. Dans un tel contexte de concurrence entre les places économiques, l’État social est menacé. On discute ouvertement de la question de savoir s’il constitue un avantage concurrentiel parce qu’il participe à la sécurité et à la stabilité sociale, ou un inconvénient parce qu’il accable les entreprises de coûts pouvant nuire à leur compétitivité. Le système de santé est essentiellement financé par cet État social, c’est-à-dire par l’impôt sur le revenu et les primes d’assurance maladie. Cet argent ne circule que lorsque les bases économiques ne cèdent pas et que la volonté de payer de la population est maintenue. Dans le même temps, la politique de santé fait face à des défis qui vont bien au-delà des « affaires courantes ». Il y a dans un premier temps la mutation démographique : le nombre de personnes très âgées croît énormément et le manque de personnel infirmier s’intensifie. Dans un second temps, le système de santé repose aussi de manière substantielle sur la prise en charge et les soins infirmiers réalisés par les proches, qui assistent leurs parents malades, handicapés et âgés sans rémunération. Ces familles deviennent plus petites, les femmes au foyer sont de plus en plus actives, on ne vit plus au même endroit, et on est de moins en moins prêt à réaliser ce travail de prise en charge.
Que feriez-vous pour remédier à ce danger ?
La politique de santé est remise en question à double titre : celle-ci doit constamment prouver la légitimité du système de santé. La seule possibilité d’y parvenir est de montrer que la Suisse dispose réellement du « meilleur système de santé au monde », pour faire écho au propos du président de Confédération alors qu’il était encore responsable de l’armée. Il nous faut pour ce faire un système d’assurance qualité plausible, créé et conçu pour le bien des patients et des employés. Nous devons également reconnaître et indemniser le travail d’aide aux proches jusque-là non rémunéré. Quelques jours de vacances en plus sont loin d’être suffisants. Imaginons deux minutes que des femmes réduisent leurs temps de travail de 70 à 50 % par exemple pour s’occuper de leur mère. Ces femmes renoncent à un salaire et à des prestations sociales en cas de maladie ou de chômage, et elles auront plus tard une retraite moins importante. Il est peu probable que le système de santé puisse continuer de développer cette forme d’aide aux proches au cours des années à venir si rien ne change.
Y a-t-il aussi des changements pansociétaux qui pourraient favoriser des mutations positives pour le système de santé ?
Notre société jouit d’une espérance de vie très élevée et compte quatre générations. C’est en soi un changement positif auquel participe le système de santé. L’accroissement de l’espérance de vie ne signifie toutefois pas que le besoin en soins infirmiers des individus augmente de la même manière. Au contraire, le potentiel des personnes âgées encore très actives qui cherchent des activités stimulantes après la retraite est en croissance. Ici, le système de santé pourrait proposer des offres permettant d’améliorer la situation précaire autour de ces prestations. À ce titre, nous avons néanmoins besoin d’une nouvelle réglementation juridique pour la prise en charge des personnes âgées et en invalidité.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux acteurs de la santé de la prochaine législature ? Aux conseillers, aux assureurs, aux médecins, mais aussi à nous tous, les patients ?
La politique de la santé relève aussi de la politique sociale, et vice versa. Les acteurs de la politique sanitaire doivent être davantage conscients de leur responsabilité sociale. Enfin, le système de santé se base sur des conditions qu’il ne peut luimême pas remplir : la bonne performance économique et la volonté de beaucoup de fournir un travail informel d’aide aux proches. Plus concrètement : si, lors de la session d’hiver, le Conseil des États transmet la motion d’élargissement des prestations complémentaires pour les personnes âgées en logement protégé, le Conseil fédéral devra alors rapidement élaborer une base juridique visant à réguler le droit à la prise en charge, et ce, indépendamment de la forme d’habitation. On pourra ainsi permettre aux personnes âgées et dépendantes de vivre dans la dignité et d’éviter ou, du moins, de retarder au maximum l’entrée dans un établissement hospitalier.
Cet article est une réimpression tirée du doc. be 6/19, le magazine de la Société des médecins du canton de Berne (Bekag). Publié avec l’aimable autorisation des rédacteurs de cette revue.