Introduction
La deuxième partie de la publication sur le thème de la « Médecine dentaire durable » se penche sur les facteurs qui influencent la relation entre le cabinet dentaire et le développement durable. Dans la première partie, la situation initiale concernant l’état de la recherche ainsi que l’empreinte carbone des différents facteurs a été détaillée et quelques propositions de solutions ont été examinées. Les facteurs influençant la médecine dentaire de l’extérieur ont été abordés de manière spécifique. La deuxième partie examine maintenant les facteurs agissant de l’intérieur et comment il est possible de les influencer. Elle montre ce qui se passe avec les différents matériaux et comment le cycle de vie de différents produits a un impact sur le développement durable écoresponsable (fig. 1). Comme dans la première partie de cette publication, la forme masculine est utilisée dans cette deuxième partie pour désigner toutes les personnes et dénominations professionnelles. Sauf indication contraire, les propos s’appliquent toujours aux deux sexes.
Gestion de la place de travail
La transition énergétique mondiale, qui voit l’abandon du charbon et du nucléaire au profit de sources d’énergie renouvelables, a également un impact sur le travail dans les cabinets dentaires. Pour les cabinets dentaires, cela signifie non seulement utiliser de l’électricité « verte » pour les diverses activités, mais aussi, le cas échéant, réduire la consommation d’énergie, par exemple en achetant de nouveaux appareils moins énergivores. Ces optimisations n’ont pas seulement un effet positif sur le plan écologique, puisque les cabinets dentaires peuvent également en bénéficier d’un point de vue économique.
Pour assurer durablement la responsabilité environnementale d’un cabinet, un changement d’attitude est nécessaire. Dans la partie consacrée à la gestion de l’espace de travail, nous décrivons à l’aide d’exemples comment de telles restructurations pourraient se présenter concrètement au sein de l’équipe. Le développement de la biodiversité dans l’environnement infrastructurel des cabinets dentaires est un aspect marginal significatif de l’optimisation écoresponsable des cabinets. Ce faisant, un changement de cap en direction d’une pratique « verte » peut également être instauré.
Gestion écoresponsable de l’énergie dans les cabinets dentaires
Selon une étude réalisée à Fife en Grande-Bretagnee par Duane et coll. (2019a), la consommation d’énergie représente 15,3 % des émissions totales d’un cabinet dentaire. Les cabinets dentaires plus anciens ont une empreinte CO2 plus faible, car ils n’ont pas encore de climatisation et leurs locaux sont généralement plus petits. Pour réduire l’empreinte carbone d’un cabinet, il est possible, par exemple, de produire ou d’acheter de l’électricité renouvelable produite par des panneaux solaires (Duane et coll. 2012, 2019g).
En règle générale, les cabinets utilisent deux ressources énergétiques : l’une pour chauffer le bâtiment et l’autre pour chauffer l’eau et faire fonctionner les appareils. L’électricité renouvelable génère des émissions négligeables, principalement liées au transport de l’électricité vers le cabinet. En cas d’autoproduction d’électricité, ces émissions sont supprimées. En raison de la demande croissante, l’offre se multiplie et les possibilités de choix s’améliorent. Les émissions générées par la production d’électricité sont donc en diminution constante.
L’énergie consommée pour le chauffage représente une part substantielle de la consommation d’énergie d’un cabinet. Les sources d’énergie sont les pellets de bois, l’électricité renouvelable, une combinaison de sources d’électricité, le gaz, le gaz liquéfié, le pétrole ou les pompes à chaleur. L’objectif est d’utiliser la source d’énergie la plus respectueuse de l’environnement. Étant donné que les pellets de bois présentent un risque en raison de la libération de CO2 et de substances nocives, ils sont un peu moins bons que l’électricité renouvelable. Les coûts de l’électricité renouvelable ne cesseront de baisser à l’avenir en raison de l’augmentation de l’offre. Un moyen simple de réduire l’empreinte carbone est d’améliorer l’efficience énergétique. Par exemple, les anciens boilers datant de dix à quinze ans ont une efficience de 60 à 70 %, alors que les nouveaux sont à 95 %. L’installation de thermostats, de minuteries et de vannes thermostatiques permet également d’obtenir une amélioration. Les systèmes de climatisation jouent également un rôle important, car ils consomment en moyenne 31 à 42 kWh par an et par mètre carré. En fermant les portes, en augmentant la température de régulation, en protégeant les fenêtres de la lumière du soleil et en utilisant des techniques de ventilation naturelle, il est possible de réduire les pertes d’énergie. Bien que la consommation d’eau soit faible dans un cabinet dentaire en raison de l’absence de douches, il est possible d’économiser de l’énergie en isolant le boiler. Cela permet de réduire non seulement la charge financière, mais aussi de préserver l’environnement (Duane et coll. 2019e ; Mulimani 2017). En outre, concernant la gestion de l’espace, l’efficience dans l’occupation des salles de traitement est importante. Selon une étude de Duane et coll. (2019a), la consommation d’énergie par traitement est plus élevée dans les nouveaux cabinets que dans les bâtiments plus anciens, car les salles d’attente et de traitement sont plus grandes. Un cabinet utilisé de manière efficiente devrait donc avoir, dans la mesure du possible, des unités de traitement utilisées en continu (Duane et coll. 2019c).
Les standards énergétiques des bâtiments permettent par exemple de mieux estimer les coûts énergétiques d’un objet en location. Une construction isolée de manière optimale permet d’améliorer ses normes énergétiques et de réduire les coûts de chauffage. La mesure la plus efficiente consiste à isoler les combles, car c’est là que les pertes d’énergie sont les plus importantes. On estime que jusqu’à 25 % de la chaleur s’y échappe. L’amélioration du standard énergétique d’un bâtiment peut être subventionnée par les pouvoirs publics, ce qui la rend plus attractive. L’étanchéité des fenêtres et des portes ainsi que l’installation de fenêtres à vitrages multiples permettent de limiter les pertes de chaleur et de froid. Les rideaux, stores ou persiennes contribuent à maintenir la chaleur à l’extérieur en été, et le réglage du chauffage et de la climatisation en fonction de la saison permet d’économiser beaucoup d’énergie. Réduire le thermostat de 1 ÆC peut permettre d’économiser entre 8 et 10 % des coûts énergétiques. Le chauffage sélectif et la fermeture des portes permettent d’optimiser l’apport et l’évacuation de chaleur en été et en hiver (Duane et coll. 2017).
Le terme de « Green Building » ou « bâtiment vert » décrit l’efficience améliorée de ces bâtiments quant à la consommation des ressources telles que l’énergie, l’eau et les matières premières, en mettant l’accent sur les matériaux disponibles localement. Le « Leadership in Energy and Environmental Design » (LEED) est un système d’évaluation permettant de classer les bâtiments éco-responsables en fonction de leur conception, de leur construction et de leur fonctionnement. Cette évaluation reflète le développement durable en termes de consommation d’eau, d’efficience énergétique, de choix des matières premières et donc de niveau écologique interne du bâtiment (Avinash et coll. 2013).
Les équipements tels que le triturateur, l’imprimante, la lampe de polymérisation, les appareils à rayons X, les chargeurs de téléphones portables et le routeur consomment peu d’électricité. C’est la fabrication et l’achat ainsi que l’élimination de ces appareils qui ont l’impact environnemental le plus important. Les appareils tels que la bouilloire, le réfrigérateur, la machine à café et le four à micro-ondes consomment beaucoup d’électricité. Pour ces appareils, il vaut la peine de prêter attention aux labels d’efficience énergétique. Cependant, il ne faut pas jeter un appareil qui fonctionne encore, car cela génère nettement plus d’émissions. Les ordinateurs, par exemple, consomment beaucoup d’électricité et devraient être mis hors tension en dehors des heures d’utilisation, et non pas maintenus en mode veille. Pour les téléviseurs, par exemple dans les salles d’attente, il est également préférable d’utiliser des modèles récents, car les anciens consomment beaucoup plus d’électricité. Pour l’éclairage, il faut veiller à installer des diodes électroluminescentes (LED), dont la consommation ne représente que 20 % de celle des ampoules à incandescence et qui ont une durée de vie plus longue. Des capteurs permettent de régler automatiquement l’éclairage en fonction de la luminosité de la pièce. Par contre, dans les unités de traitement, le compresseur et le système d’aspiration fonctionnent en moyenne 18 minutes par heure. Dans la chaîne de stérilisation, on utilise également des appareils à forte consommation d’énergie. L’autoclave, les appareils de lavage et de désinfection et les appareils à ultrasons consomment autant d’électricité que la climatisation. On veillera à ce que les appareils soient certifiés Conformité-Européenne (CE) et donc autorisés sur le marché européen. Le fait de couper le circuit électrique des appareils en dehors des heures d’utilisation permet également de réduire la consommation d’énergie et les coûts (Avinash et coll. 2013 ; Duane et coll. 2019c).
Les installations photovoltaïques représentent la variante la plus utilisée pour la production d’électricité. Pour des coûts mensuels moyens d’électricité de 500 à 700 CHF en Suisse, une telle installation est amortie en moyenne en douze à quinze ans environ. L’énergie solaire thermique peut être utilisée pour réduire les coûts de chauffage, mais la production de chaleur dépend des conditions météorologiques et la consommation d’eau chaude du cabinet est relativement faible. Dans les cabinets relativement grands, la pompe à chaleur est une option, car elle peut également être utilisée pour refroidir le bâtiment en été. Pour les cabinets plus ruraux qui disposent de suffisamment de place pour stocker leurs pellets, ainsi que d’arbres et de forêts aux alentours pour absorber le CO2 émis, un tel chauffage peut être une bonne alternative (Duane et coll. 2019c).
Le développement durable comme principe directeur
Pour une mise en oeuvre réussie à long terme, il est essentiel non seulement d’optimiser la gestion de l’énergie, mais aussi de faire passer le message du développement durable écoresponsable aux collaborateurs. L’équipe du cabinet doit comprendre pourquoi certains changements sont nécessaires et en être convaincue. Le développement durable ne devrait pas être considéré comme « un aspect supplémentaire », mais comme une partie intégrante du traitement pour le bien des patients et de la société.
En désignant une personne de l’équipe comme responsable des questions relatives au développement durable, on crée une position de leadership à partir de laquelle les changements sont conduits. Cette personne n’est pas seulement responsable du changement vers le développement durable, mais aussi de l’information des membres de l’équipe, et sera attentive à leurs idées et les prendra en compte. Le ou la responsable du développement durable élabore avec les autres membres de l’équipe une vision indiquant les points à modifier et la manière de le faire. Cette vision est ensuite communiquée par le biais de flyers dans la salle d’attente, sur le site web et les médias sociaux. L’objectif est de transmettre, également aux collaborateurs, une vision convaincante. Tous les changements, comme par exemple le passage à l’électricité renouvelable, sont également communiqués via ces canaux. Les obstacles sont ensuite abordés – par exemple les préoccupations d’ordre financier, les ressources limitées ou le manque de soutien de la part des collaborateurs. Les incitations telles que les subventions pour les installations solaires ou les modèles dits « Cycle-to-Work » sont comparées. A long terme, les changements représentent également des incitations financières, comme par exemple une amélioration de l’isolation du cabinet dentaire.
Pour maintenir la motivation au sein de l’équipe, il est indispensable de fêter à court terme les succès obtenus. On veillera à ce que des idées émanant de l’équipe soient mises en oeuvre, afin de garantir une relation égalitaire. Les succès devraient également être communiqués publiquement afin de confirmer le bien-fondé de la démarche auprès des collaborateurs, de manière à ce que les premiers succès ne soient pas suivis d’un relâchement et que des changements continuent d’être initiés.
En tant que dernier volet de la gestion du changement, il est indispensable d’adapter les directives du cabinet. Les directives ne devraient pas seulement énumérer les objectifs, mais aussi les avantages. De même, le rôle des collaborateurs devrait être défini en termes de responsabilité et de formation. Il faut veiller à ce que les objectifs soient réalisables, sinon ils auront un effet décourageant. Il est également utile de mesurer les progrès accomplis afin de pouvoir identifier, à partir des chiffres, les domaines dans lesquels il existe encore un potentiel. Par exemple, la consommation d’énergie peut être mesurée par les coûts d’électricité et de chauffage, et le tri des déchets peut être observé. Pour illustrer cela, des affiches sur le thème du développement durable en rapport avec la santé peuvent être accrochées dans la salle d’attente.
Afin d’inspirer d’autres cabinets et entreprises, il est possible de parler du développement durable dans le cadre de différents événements et d’en discuter les avantages à l’aide d’exemples tirés de sa propre pratique professionnelle. La présentation du cabinet comme pionnier d’une nouvelle culture professionnelle peut aider à motiver d’autres cabinets à changer de mentalité et à passer à l’action (Duane et coll. 2019a).
L’infrastructure au service du développement durable
L’augmentation des surfaces urbaines rend la thématique de la biodiversité de plus en plus importante. Dans ce contexte, les jardins jouent un rôle essentiel dans la lutte contre la fragmentation (perte de continuité des différents espaces verts). Grâce aux jardins, la surface d’habitats continus augmente pour les plantes et animaux indigènes, dont la diversité peut augmenter. Les plantes sont également essentielles pour l’absorption de l’eau dans le sol, car elles conduisent l’eau en profondeur le long de leurs racines. Les surfaces de gazon stériles ont une faible valeur pour la biodiversité. Les « mauvaises herbes » telles que les pissenlits et les trèfles ont une grande valeur pour les abeilles et autres insectes, c’est pourquoi les pelouses tondues devraient au moins avoir des coins que les fleurs sauvages peuvent coloniser librement. La fréquence de tonte devrait également être irrégulière et pas trop élevée, sinon certaines herbes ne peuvent pas se rétablir assez rapidement.
Bien que la biodiversité ne soit pas associée en premier lieu à la médecine dentaire, il existe un lien entre les deux. De nombreux cabinets ruraux disposent d’un jardin devant la maison, ou même d’un jardin plus grand, et peuvent donc avoir une influence directe sur la biodiversité. Depuis des années, la population d’insectes et de petits vertébrés s’effondre en raison de la forte augmentation de l’utilisation de pesticides et de la destruction de leurs biotopes. Les idées suivantes peuvent aider les cabinets à aménager leurs espaces extérieurs dans le respect du développement durable et de l’environnement.
Lors du choix des plantes, il faut veiller à choisir des variétés indigènes dont la floraison se répartira autant que possible tout au long de l’année. L’utilisation de pesticides devrait être réduite à un minimum absolu et utilisée uniquement de manière ciblée contre les plantes envahissantes. Le bois et les tas de feuilles constituent un biotope favorable pour les champignons, les lichens et les mousses, et offrent un habitat aux insectes et notamment aux carabidés, ce qui permet de lutter contre l’invasion des limaces. De telles zones dans le jardin constituent également des sites de nidification pour les colonies de bourdons et offrent une option d’hibernation, notamment aux hérissons. Outre un bassin d’eau pour les oiseaux et les amphibiens, des hôtels pour les abeilles et les insectes peuvent également être mis à disposition. Les tas de pierres ou d’herbe représentent des possibilités de nidification pour les reptiles. De petites toitures ou façades végétalisées peuvent être aménagées au pied des bâtiments. La toiture végétalisée devrait s’intégrer dans son environnement. Elle ne nécessite que peu d’entretien et permet de réduire l’apport thermique extérieur tout en favorisant la biodiversité. La végétalisation de façades offre des avantages analogues à la végétalisation des toitures. Lors du choix du matériau de recouvrement du sol, il convient d’éviter les surfaces goudronnées, qui ne permettent guère, voire pas du tout, d’absorber l’eau dans le sol. En revanche, les pavés avec de l’herbe dans les interstices offrent un milieu de vie aux insectes et aux plantes.
Bien qu’une majorité des médecins-dentistes interrogés s’intéressent au développement durable et à la biodiversité, les connaissances sur la meilleure façon d’appliquer ces aspects sont souvent insuffisantes. Une motivation personnelle peu évidente, les coûts et le temps nécessaires à la mise en oeuvre de tels changements peuvent également constituer des obstacles. Un autre obstacle est constitué par les patients qui se demandent pourquoi la pelouse bien entretenue devant le cabinet a été remplacée par quelque chose de moins soigné. La littérature sur les avantages de la biodiversité en termes de coûts est encore restreinte. Et pourtant les arbres, par exemple, réduisent considérablement les frais de climatisation en offrant de l’ombre et un refroidissement par évaporation. Des études menées aux États- Unis ont montré qu’il n’était plus nécessaire de faucher dès lors que des herbages indigènes étaient mis en place, réduisant ainsi les coûts de 80 à 90 %. A court terme, les dépenses peuvent être plus élevées que l’entretien du jardin, mais à long terme, les coûts d’entretien et les contraintes sont nettement inférieurs. Il existe aujourd’hui de nombreuses entreprises de jardinage spécialisées dans le jardinage écologique durable (Duane et coll. 2019b).
Gestion des déchets
Un autre point dans la mise en oeuvre réussie d’un concept durable écoresponsable du cabinet dentaire est l’optimisation de la production et de l’élimination des déchets. Ce que l’on appelle la « gestion des déchets » comprend différents aspects de l’élimination des déchets et de leur recyclage. Fondamentalement, chaque déchet qui peut être évité aide l’environnement. Dans ce but, nous disposons du modèle des quatre R comme cadre théorique de base (Avinash et coll. 2013).
Les quatre R
Ces quatre R sont issus des verbes « reduce » (réduire), « reuse » (réutiliser), « recycle » (recycler) et « rethink » (repenser) :
- Reduce correspond à une réduction de la consommation et à une gestion responsable des ressources, sachant à titre d’exemple que les matériaux d’emballage sont responsables de 33 % du volume des déchets. L’achat de produits avec un emballage minimal et, par exemple, l’utilisation répétée des flacons de désinfectants diminuent de manière générale la production de déchets.
- Reuse consiste à prolonger le cycle de vie des produits en les réutilisant plusieurs fois tout en respectant les normes d’hygiène, ou à acheter des produits en métal plutôt qu’en plastique, ce qui réduit considérablement leur usure.
- Recycle signifie que les produits sont éliminés de manière appropriée, ce qui permettra de réutiliser les matières premières dans une proportion aussi élevée que possible.
- Rethink indique que chaque décision est prise dans un certain état d’esprit et que le changement d’attitude est le meilleur chemin vers le changement. Le développement durable et le respect de l’environnement sont tous deux considérés comme une attitude mentale. Il est donc indispensable de remettre toujours en question ses propres actions et donc de rester dans une démarche autocritique.
Élimination écoresponsable des déchets
En Grande-Bretagne, il existe déjà de nombreuses directives que les médecins-dentistes doivent respecter lors de la gestion des déchets. La British Dental Association a mis à la disposition des médecins-dentistes un code de bonnes pratiques concernant la « gestion des déchets ». Ainsi, les médecins-dentistes sont tenus de classer leurs déchets comme dangereux, non dangereux ou potentiellement dangereux. Il n’existe pas encore de directives claires concernant l’élimination des plastiques. On sait que l’utilisation des matières plastiques en médecine dentaire est en augmentation. Il est donc opportun de réfléchir à l’élimination des plastiques. Des études sur le gaspillage des matériaux montrent par exemple que les matériaux d’empreinte comme le Putty (silicone) produisent moins de déchets avec la technique de mélange automatique. Il est donc possible de réduire les déchets pour un même matériau en adaptant le mode d’application (Nasser 2012).
En Europe, environ un quart des déchets sont transformés en énergie dans des installations d’incinération. Mais ce processus est peu écologique, car les produits sont très gourmands en énergie lors de leur fabrication. Le recyclage permettrait de réduire nettement ce gaspillage d’énergie. De plus, les installations d’incinération de déchets médicaux produisent des cendres toxiques et des substances nocives, ainsi qu’une proportion importante de dioxines (Duane et coll. 2019e). Les cabinets dentaires génèrent une grande quantité de déchets qui, en plus d’émettre des équivalents CO2, ont des effets toxiques sur l’environnement. L’élimination correcte des déchets présente des avantages écologiques, mais aussi économiques. Il est possible de réduire les coûts en fonction de la qualité du tri des déchets, car l’élimination régulière des déchets entraîne des coûts plus élevés que leur recyclage (Duane et coll. 2019f ; Mulimani 2017).
En premier lieu, il s’agit toujours de réduire la production de déchets, puis de s’assurer que les déchets sont catégorisés et triés en conséquence. De plus, il faut s’assurer que cela est bien mis en oeuvre. Lors des achats, la réduction de la quantité joue un rôle important, car cela diminue la probabilité de devoir jeter des produits inutilisés dont la date de péremption est dépassée. La rotation des stocks permet de s’assurer que les dates de péremption les plus proches sont utilisées en premier. En exerçant une influence sur les producteurs, on peut tenter de rendre les produits et leur recyclage plus conformes aux principes du développement durable. La diminution de l’utilisation de papier peut également avoir un effet positif à cet égard. La numérisation permet de scanner les données, d’envoyer des e-mails et de créer des dossiers médicaux numériques, ce qui réduit considérablement la consommation de papier. L’utilisation de gaz hilarant génère également des émissions (298 équivalents CO2). En moyenne, 163 litres sont nécessaires pour chaque utilisation, ce qui correspond à environ 90 kg de CO2. Le protoxyde d’azote ne devrait donc être utilisé qu’avec discernement (Duane et coll. 2019f). En revanche, l’utilisation du sévofluorane permettrait de réduire considérablement l’empreinte carbone du cabinet, car ce gaz libère une quantité moindre d’équivalents CO2 (Mulimani 2017). Il faut veiller également à ne pas prescrire trop de médicaments, notamment les analgésiques et les antibiotiques, car d’une part le nombre de germes résistants va augmenter, et d’autre part, du fait de la pollution croissante de l’environnement par les médicaments dans les eaux usées. Les médicaments éliminés de manière inappropriée peuvent en outre pénétrer dans la chaîne alimentaire par l’intermédiaire des eaux usées, raison pour laquelle les patients doivent être informés de la possibilité de remettre les médicaments inutilisés au cabinet médical ou en pharmacie.
Lors de l’achat d’appareils, il est préférable de choisir des produits ayant une longue durée de vie et une longue garantie. La possibilité de les réparer joue également un rôle dans la durée de vie. Ces deux aspects réduisent l’empreinte CO2 du cabinet et présentent des avantages financiers. Avant de se débarrasser d’un objet de l’inventaire, il convient d’envisager la possibilité d’un recyclage. Les objets ou équipements en bon état peuvent être donnés à des associations caritatives ou revendus en ligne. Les déchets sont subdivisés en articles contaminés et non contaminés, et séparés en groupes recyclables et non recyclables. Le tri des déchets en cabinet permet de réduire de 22 % les déchets produits régulièrement.
Les déchets alimentaires représentent 15 % du volume et peuvent également être éliminés séparément. Des études réalisées en Irlande ont révélé qu’en raison du mauvais tri des déchets, 66 % seulement des déchets sont éliminés correctement. Il est nécessaire de sensibiliser l’équipe du cabinet à la thématique du tri des déchets. Lorsque les conteneurs à déchets sont catégorisés par couleur, on sait immédiatement où mettre tel ou tel déchet. Il faut aussi indiquer clairement si les déchets sont contaminés ou non, en particulier dans les salles de soins et de stérilisation. Il manque souvent une unité de recyclage dans les salles de soins, ce qui rend difficile l’élimination séparée du plastique (Duane et coll. 2019f ; Mulimani 2017).
L’un des défis de la mise en oeuvre de la gestion responsable des déchets est le changement de comportement de l’équipe du cabinet. Il n’est pas toujours facile de changer les comportements en rapport avec l’environnement. L’information visant à la sensibilisation est la première étape pour y parvenir. La réduction des obstacles et la facilitation de l’élimination des déchets constituent le deuxième volet de la stratégie. Au sein de l’équipe du cabinet, une personne devrait être désignée comme responsable du recyclage et de l’élimination des déchets. Il est très important que les changements soient communiqués, afin qu’il n’y ait pas de manque d’information au sein de l’équipe. Dans le cadre du travail quotidien, le temps pour les formations est souvent limité, aussi les collaborateurs peuvent-ils se former de manière autonome via diverses offres d’information (Duane & Dougall 2019 ; Duane et coll. 2019f ; Mulimani 2017).
Parmi les facteurs externes de l’élimination des déchets, on trouve par exemple les emballages réalisés par les fabricants et les fournisseurs. Le design du produit a également une grande influence sur sa durée de vie et sur les possibilités de recyclage. Les taxes, impôts et pénalités ont déjà eu des effets positifs sur la gestion des déchets et pourraient être utilisés comme incitations supplémentaires. En Écosse, les cabinets dentaires sont déjà tenus de recycler le plus possible de déchets comprenant du métal, du verre, du plastique, du papier ou du carton (Duane et coll. 2019d).
Optimisation des stocks à l’aide de la gestion ACV (Analyse du Cycle de Vie)
Lors de l’achat de produits, il convient de veiller à ce que l’emballage soit réutilisable ou recyclable. . cet égard, la qualité de l’emballage et les indications de recyclage y relatives jouent un rôle essentiel. Le cas échéant, il est également possible d’attirer l’attention du distributeur sur l’absence d’indications ou une qualité insuffisante. Selon le produit, les distributeurs récupèrent les emballages à la fin de leur cycle de vie afin de garantir une élimination correcte. Pour minimiser davantage la production de déchets, la gestion des stocks doit être optimisée dans un cabinet. Cela signifie qu’il ne faut commander que le stock nécessaire, tout en faisant attention à la date de péremption. Moins il reste de produits en stock après la date de péremption, plus la gestion des déchets est efficiente dans un cabinet. Ce qui a un sens non seulement sur le plan écologique, mais aussi économique.
Un cabinet dentaire peut être flexible dans le choix de l’équipement. Pour rendre un cabinet plus conforme aux principes du développement durable, il est préférable d’utiliser avec parcimonie les produits à usage unique. Alors que certains produits sont nécessairement à usage unique, comme les limes endodontiques, d’autres ont été choisis plutôt par commodité en tant que produits à usage unique, comme les blouses à usage unique. Lors du choix du matériel, la sécurité du patient est la priorité absolue. Ainsi, dans les cas où la réutilisation d’objets ou de matériaux peut entraîner par exemple un risque accru d’infection, il est préférable d’utiliser un produit à usage unique. Pour les produits à usage unique auxquels il est possible de renoncer, il faudrait disposer d’une comparaison des équivalents énergétiques et CO2 afin de pouvoir déterminer la meilleure alternative. . l’heure actuelle, il y a encore trop peu d’études à ce sujet. C’est l’ACV d’un produit qui détermine si une alternative réutilisable est préférable. Il faudrait également tenir compte à cet égard de la production, de l’emballage, du transport, de l’élimination et du nettoyage.
D’un point de vue global, la médecine dentaire doit commencer à exercer davantage de pression sur les fabricants et à communiquer avec eux sur les changements souhaités. Les campagnes menées contre Nike, qui ont permis d’améliorer les conditions de travail et de ne plus déverser de déchets chimiques dans les égouts, sont des exemples de réussite. La réduction de l’utilisation de l’amalgame a constitué un progrès évident dans le sens du développement durable. La plupart des cabinets dentaires en Europe n’utilisent plus d’amalgame, mais des composites. Selon l’American Dental Association (ADA), les avantages des composites sont bien établis, mais leurs risques pour la santé le sont moins. Les composites sont également préoccupants d’un point de vue écologique, car leurs déchets se retrouvent dans différents flux de déchets. Néanmoins, les composites sont préférables à l’amalgame car ce dernier est plus toxique, notamment lors de la pose et du retrait des obturations.
Afin de prévenir les maladies, les employeurs du secteur de la médecine dentaire en Grande-Bretagne sont tenus de contrôler l’exposition aux substances dangereuses (réglementation COSHH ; Control of Substances Hazardous to Health). Selon l’organisation de santé Kaiser Permanente, il existe dans le monde plus de 80 000 produits chimiques utilisés à des fins commerciales dont les effets sur la santé n’ont guère été étudiés à ce jour. Des scientifiques de l’OMS ont signalé en 2011 un pourcentage significatif de décès au plan mondial, survenus en 2004, dont la cause pouvait être attribuée à des produits chimiques. Comme l’étude n’a pris en compte que certains produits chimiques, on peut supposer qu’il existe un grand nombre de cas non recensés. L’OMS en a conclu que la surcharge mondiale en termes de morbidité était massivement sous-estimée en raison d’importantes lacunes au niveau des données. Certaines organisations de santé, comme Kaiser Permanente, contrôlent les produits chimiques qu’elles utilisent et les analysent en les comparant à des alternatives. Elles le font surtout dans le domaine des produits de désinfection et de nettoyage. Une étude sur les produits de nettoyage a déjà pu démontrer une détérioration de la fonction pulmonaire chez l’être humain. Pour comprendre plus précisément quels produits et substances sont sûrs et lesquels sont nocifs, il est nécessaire de mener beaucoup plus de recherches afin de mieux garantir la sécurité des professionnels de la santé. En attendant, les cabinets dentaires devraient utiliser le moins possible de produits chimiques et informer les professionnels sur les substances utilisées. Il existe quelques alternatives parmi les produits ménagers, comme les savons inoffensifs, le jus de citron, le vinaigre, etc. Ces produits sont recommandés et bien décrits par Healthcare Without Harm (Duane et coll. 2019e).
Développement durable de la gestion bureautique
En ce qui concerne l’achat de fournitures de bureau, il existe déjà de nombreuses alternatives écoresponsables qui font l’objet de classements sur divers forums. L’impression recto verso de documents et de brochures est déjà un bon début. La numérisation est un autre élément dans le sens du développement durable. Les réunions d’équipe devraient, dans la mesure du possible, être organisées sans papier, et pour la prophylaxie, un e-mail peut être envoyé aux patients avec les liens et PDF correspondants. Les rappels de rendez-vous et autres correspondances peuvent également être transmis par e-mail ou SMS au lieu d’imprimer et d’envoyer des cartes ou des lettres.
Concernant le plastique, la consommation devrait être réduite à un minimum. Dans presque tous les cabinets, les gobelets de rinçage sont généralement encore en plastique. Ils pourraient être remplacés sans problème par des gobelets en matière stérilisable. Certains fabricants vendent des recharges, ce qui permet par exemple de réutiliser la boîte de rangement des lingettes désinfectantes. Un cabinet respectant les principes du développement durable ne les applique pas uniquement en salle de soins. Il convient également de veiller au commerce équitable et au développement durable lors de l’achat d’appareils, de produits alimentaires, de meubles, etc. Les produits remis aux patients devraient également être composés de matériaux respectueux de l’environnement, comme les brosses à dents en bambou. Lorsqu’un nouveau cabinet est créé, il convient de penser dès le départ en termes de développement durable. Le choix des matériaux utilisés pour la peinture, le mobilier, l’éclairage, le chauffage, etc. doit être fait en fonction de leur impact écologique (Duane et coll. 2019e).
Les produits à usage unique constituent un groupe important dans la gestion des cabinets dentaires. Une grande partie des équivalents CO2 est générée par ces produits à usage unique. Plusieurs études sur les différents domaines de la médecine contribuent à identifier les « points chauds » de la pollution et à établir des comparaisons. Cependant, des normes scientifiques lacunaires empêchent la mise en oeuvre de techniques améliorées et les efforts qui y sont liés (Sherman et coll. 2020). La prévalence croissante des produits à usage unique est préoccupante, car le plastique est omniprésent dans leurs composants et sa longue durée de vie présente un inconvénient pour l’environnement. Alors que le cycle déchets-énergie est de plus en plus populaire dans les pays occidentaux, les pays en développement brûlent leurs déchets sans récupération d’énergie et libèrent de grandes quantités de polluants comme les dioxines et les métaux lourds. Dans les produits en plastique à usage unique, ce sont surtout les plastifiants qui sont nocifs, car ils persistent dans l’environnement et s’y bioaccumulent. De plus, on attribue aux plastifiants un effet négatif sur l’équilibre hormonal de l’être humain.
Les études comparant les appareils contenant des parties jetables à usage unique, pouvant être éliminées, et les appareils à usage unique reconditionnés, ainsi que les comportements d’utilisation, sont essentielles pour élaborer des approches d’optimisation des ressources.
Outre les produits à usage unique, les médicaments sont également à l’origine d’une partie importante des émissions de gaz à effet de serre. Les déchets de produits pharmaceutiques ouverts mais non entièrement utilisés représentent une part substantielle en raison du volume des conditionnements, qui sont conçus pour être plus grands que la quantité nécessaire pour un seul patient (Avinash et al. 2013 ; Sherman et al. 2020).
Comparaison des matériaux d’implants
Les principes du développement durable écoresponsable s’étendent également au traitement odontologique lui-même, comme l’a montré l’exemple de l’implantologie. . cet égard, il existe déjà des études qui se concentrent sur les traitements sans métal. Les résultats montrent que le développement des céramiques est rapide et que celles-ci ont plus de sens que les métaux utilisés jusqu’à présent, aussi bien en termes de respect de l’environnement que de propriétés mécaniques. Selon les études sur les différents implants utilisés, la biocéramique de zircone (Y-TZP) se distingue comme la substance la plus respectueuse de l’environnement pour la fabrication d’implants dentaires, comparativement aux autres matériaux étudiés (De Bortoli et coll. 2019).
Conclusions
La vue d’ensemble des études relatives aux principes du développement durable appliqués à la médecine dentaire permet de tirer les conclusions suivantes :
- Le domaine encore jeune de la Healthcare Sustainability Science présente un grand potentiel, mais pour l’instant, seules quelques études sont disponibles à ce sujet. On ne peut donc tirer que des conclusions limitées sur les différentes approches. Il n’existe que des preuves scientifiques restreintes sur l’impact exact des émissions causées par la médecine dentaire, car les ACV sont rares pour les différents produits et traitements. Toutefois, cet aperçu permet de mettre en pratique les approches mentionnées, car des solutions ont déjà été proposées pour les défis évoqués.
- Pour évoluer vers une pratique odontologique plus respectueuse du développement durable, les études disponibles sont suffisantes, car les approches ont déjà été testées dans d’autres disciplines et peuvent être appliquées à la médecine dentaire. Cela vaut par exemple pour les structures environnementales telles que les bâtiments ainsi que pour les transports, dont la gestion respectueuse du développement durable, en tant que mesure universelle, s’applique également au cabinet dentaire.
- La sensibilisation des médecins-dentistes installés n’est pas toujours évidente. Dans les études, ce groupe cible n’est pas apparu à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. Il faudrait déployer davantage d’efforts pour atteindre les cabinets privés afin de sensibiliser autant que possible tous les médecins-dentistes au domaine du développement durable. Cela permettrait de contacter les médecins-dentistes qui, faute de campagnes d’information, ignorent tout de ce sujet et n’y sont pas sensibilisés. De même, les étudiants devraient être amenés à prendre conscience de ce domaine dès leur formation universitaire et à le considérer comme partie intégrante de toute pratique médico-dentaire.