Comment vous est venue l’idée de créer un livre pour enfants ?
Mélanie Meier-Pereira : J’ai une fille et elle a reçu de nombreux livres « cherche et trouve », mais j’ai remarqué que les sujets étaient toujours les mêmes. Surtout, aucun n’était consacré à notre secteur d’activité. Or, les enfants ont souvent peur d’aller chez le médecin-dentiste. Je me suis dit qu’un livre sur le sujet pourrait aider à changer cette perception et j’ai fait part de ma réflexion à Stephan Baumgartner qui a accueilli cette idée avec enthousiasme. Voilà comment tout a commencé.
Stephan Baumgartner : J’ai parlé de cette idée à la maison et mes enfants l’ont trouvée géniale. Ils ont participé au processus créatif en me faisant parfois des critiques et en demandant des adaptations.
Qu’est-ce qui rend votre livre différent des autres ?
S. Baumgartner : Le livre se base sur des histoires personnelles. Avec ma femme et mes enfants, nous élevons des poules. La Lulu du livre existe donc vraiment. Un cabinet dentaire permet d’aborder les relations humaines et sociales, mais aussi des sujets politiques et humanistes. Voilà le but : mettre en avant l’aspect humain, qui nous guide aussi lors du recrutement de l’équipe du cabinet. Ce « cherche et trouve » nous aide ainsi à créer un pont entre les patients et nous. Je suis sensible à ces thèmes, car l’une de mes spécialisations est la médecine dentaire dans le contexte migratoire, ce qui inclut le domaine de l’asile. Mon activité à l’Université de Zurich, à la clinique de médecine dentaire générale, gériatrique et pour les personnes handicapées, se reflète aussi dans le livre. Nous avons grand besoin de mettre un peu de couleur dans la maison. La médecine dentaire est déjà assez stérile. Nous sommes dans une position difficile : nous avons l’air bizarres, il flotte une drôle d’odeur et ce que nous faisons fait parfois mal, ou est désagréable. Et en plus, cela coûte cher. Nous avons donc un grand potentiel vers le haut, que ce soit avec un livre, avec l’hypnose, ou au niveau des entretiens et de la langue ou du ton utilisé.
Quelle était pour vous l’importance de la diversité ?
M. Meier-Pereira : Énorme ! D’autant plus que, dans le domaine médical, on a souvent le sentiment que l’on ne sera pas tellement accepté si l’on a un aspect qui sort du cadre. À l’hôpital, il y a par exemple des services dans lesquels les tatouages ou les piercings visibles doivent être couverts, voire où, dans le doute, l’on n’a même pas le droit de mettre les pieds à cause de cela. Nous avions donc à coeur de représenter le multiculturalisme de notre cabinet dans ce livre. Les noms des personnages aussi ne sont pas dus au hasard. Toni est par exemple un prénom unisexe en allemand. Nous avons aussi un personnage appelé Amira, pour avoir une composante musulmane. Il y a également un Juan et un Browdy, pour représenter différentes cultures et nationalités et pour que ce ne soit pas une histoire purement européenne.
S. Baumgartner : En fait, ce livre est une sorte de programme, un livre inclusif. L’avantage est aussi que nous n’aurions rien à changer s’il devait être traduit. Nous avions à coeur de représenter la diversité de manière ciblée. Il faut une certaine sensibilité interreligieuse pour pouvoir fonctionner correctement. Nous avons des chrétiens, des athées, des juifs, des musulmans, des alévis, des sunnites, des chiites. Cela demande du tact et nécessite par exemple de savoir ce qu’est la Souccot, ou la Fête du Sucre. Si chacun fait un pas vers l’autre, il y a de fortes chances que le vivre ensemble fonctionne.
Quel est l’avantage de travailler uniquement sur des images ?
M. Meier-Pereira : La caractéristique d’un « cherche et trouve » est qu’il n’y a pas de texte et que tout est représenté en images. Ces livres sont donc accessibles aussi bien à un enfant de 1 an que de 3 ou 4 ans. De plus, ils peuvent être compris même si les parents ne sont pas là pour lire l’histoire. Ils stimulent aussi l’imagination. Lorsque l’enfant voit l’image et qu’il brode une histoire à partir de là, il peut s’inventer un petit monde rien qu’à lui. Les images sont toujours des vecteurs de réflexion.
Qu’attendez-vous de cet ouvrage après son lancement ?
M. Meier-Pereira : J’espère que les relations avec les personnes qui ont l’air différentes, où dont l’habillement montre qu’elles sont d’une autre religion, seront abordées de manière plus détendue, que l’acceptation sera plus grande. Pas seulement chez les patients, mais également au sein du personnel.
Pour quelles raisons pensez-vous qu’il y a encore un retard à combler dans ce domaine ?
M. Meier-Pereira : Je pense que l’on a peur de la réaction des patients, peur qu’ils pensent que le personnel n’est pas sérieux, voire désinvolte.
S. Baumgartner : Le changement a besoin de temps. Il faut généralement plusieurs générations pour faire évoluer les mentalités, y compris sur le plan politique. Les questions d’égalité de traitement offrent des opportunités. Si nous signalons les toilettes du cabinet avec le sigle WC, cela ne dit volontairement pas qu’elles sont pour les hommes, les femmes ou les personnes non binaires. Ce sont de petits actes décisifs, car ils déploient d’énormes effets. Si l’on n’est pas concerné, on ne remarque rien. Mais si l’individu fait partie des personnes concernées, il se sent intégré et protégé. Cela me paraît important et juste. Je vois aussi cela comme notre mission humaniste au sein de la société : aller vers les gens et les associer.
Quels sont les autres piliers du projet ?
S. Baumgartner : Les garages Franz AG ont pris en charge 7,5 % des coûts de production et 10 % proviennent de sponsors. En contrepartie, nous avons intégré les marques des sociétés dans le livre. L’éditeur a acheté la moitié des 2000 exemplaires imprimés et il se charge de la distribution aux librairies. Pour ce qui est du bénéfice, une moitié sera dévolue à l’Hôpital des enfants de Zurich et l’autre sera investie dans la deuxième partie du projet de livre que nous prévoyons de commencer en 2023.